Passer le mur

Il faut passer le mur, voilà le constat que je fais depuis des années. Souvent, avant d’écrire le moindre mot, parfois même avant de m’autoriser à penser à ma pièce en court, il y a un mur que je dois surmonter. Invisible mais tout aussi dur et violent qu’un mur de brique que je devrais escalader pour avoir le droit d’écrire.

Ce mur c’est l’inquiétude de ne pas avoir d’idée. C’est la crainte d’être mauvais, accompagnée de toutes les peurs que peut créer mon cerveau reptilien. Je dois donc faire l’effort de le passer ou remettre à plus tard l’élan que je n’ai pas eu. Ce n’est pas un manque d’inspiration ; l’inspiration est partout, il me suffit d’ouvrir les yeux. Certains appellent cela l’angoisse de la page blanche, mais c’est autre chose car une fois le mur passé, il m’arrive d’écrire pendant trois ou quatre heures sans tarir, pour enfin m’arrêter, écrasé de fatigue. Je vais m’écrouler près de mon amour, avec une certaine satisfaction du devoir accompli.

Alors quelle est cette force invisible qui prend tout mon courage pour le jeter dans les caniveaux de mon esprit ? Je n’en sais rien. J’ai bien essayé d’en trouver l’origine, mais cela ne la faisait pas disparaître, alors je l’ai acceptée. Le mur est là comme le trac des comédiens qui joueront mes mots plus tard. La différence, c’est que le comédien qui est en coulisse verra son trac disparaître sur scène. Son entrée est planifiée, les spectateurs l’attendent, le régisseur lui fait signe avant de lever le rideau. Il va recevoir l’ordre de commencer à jouer. Alors il posera le pied dans la lumière et le trac qui vient de l’ombre disparaît sous les projecteurs. Mais personne n’attend un auteur, sauf dans de rares circonstances. Il me fallait donc un ordre, un top départ, quelqu’un ou quelque chose qui me pousse à écrire et à franchir le mur.

La solution, en tout cas la mienne, est de faire des gammes…. comme un musicien. Juste écrire des mots, ce qui me passe par la tête, mes questions, mon état, le temps qu’il fait … peu importe. Je commence par me dégourdir les doigts en attendant que l’esprit se réveille et se rassure dans le cliquetis des touches. Je mets de la musique. Classique ou moderne, adaptée à mon humeur, mais sans paroles. Pour aller chercher mes mots, il ne faudrait pas que ceux des autres viennent me perturber. Et au bout d’un certain temps, je suis en train d’écrire une nouvelle scène ! Il me faut ce rituel, ces gestes automatiques, cet échauffement, ce réveil pour prendre mon élan, pour passer le mur et arriver jusqu’à vous.

Philippe Caure le 19 janvier 2015